• Chapitre 8 : une mer de sang (Guédelie)

    - Dame Guédelie ? Nous venons de recevoir un pigeon.

    - Oui ?

    - C'est le duc de Montferrant.

    La chienne lâcha immédiatement la cruche qu'elle tenait et la reposa sur la table avec tant de précipitation qu'un peu d'eau s'en échappa.

    - Donne !

    Sans attendre elle prit des mains de l'oiseleur le papier qu'il tenait. Elle reconnu en effet le seau de Montferrant, avec son écartelé de chevaux.

    "Dame Guédelie de Crosang,

    Cessez de vous acharner à porter ce titre que vous usurpez. En l'absence d'héritier mâle, le trône de Crosang revient en toute légitimité au frère de notre défunt duc Louis. Celui-ci est à côté de moi au moment où j'écris ces lignes, et affirme qu'il prétend toujours à cet héritage. En continuant d'exercer l'autorité de duchesse, vous vous portez à l'encontre des lois du roi. Pour la dernière fois : abdiquez et laissez sa place au seigneur légitime.

    Portez vous bien."

    Avec, en guise de signature, le seau de Montferrant trempé dans l'encre. Pas de cire pour les pigeons, ils seraient trop alourdis. 

    Guédelie ferma le poing sur la lettre et la froissa jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'une boule dans le creux de sa paume. Sa mâchoire était crispée.

    - Madame ? Que dit-il ?

    Elle finit par desserrer les dents pour répondre à son oiseleur :

    - Ils insistent.

    Elle avait lâché ça sur un ton unis et apparemment calme, mais le jeune renard chargé des oiseaux la connaissait depuis assez longtemps pour savoir que l'orage grondait. Il tenta de se montrer prévenant.

    - Ils doivent bien proposer une alternative, pas vrai ? Une compensation ? De la diplomatie ?

    - De la diplomatie ? Ses messages sont de plus en plus insultants, oui. Sous prétexte que je n'ai pas ce qu'il faut entre les pattes, ils veulent m'attaquer devant la justice royale ! Je commandais déjà Crosang avant que mon imbécile de mari ne trépasse à la guerre, de quoi se mêlent-ils ?

    Elle était de moins en moins calme, ce qui se semblait pas rassurer l'oiseleur.

    - C'est probablement... L'annonce de la mort du roi. Tout le monde est très perturbé par cette nouvelle.

    - Ridicule ! Si nous avons reçut le pigeon aujourd'hui, il ne pouvait pas déjà être au courant lorsqu'il a écrit cette lettre. Non, au contraire, il devait encore se croire sous sa protection.

    Elle retroussa les babines, laissant percevoir ses crocs blancs et pointus.

    - Mais dommage pour lui, ce n'est plus le cas. M'étonnerait fort que le jeune roi aient les épaules de son père. On raconte de lui qu'il passe plus de temps dans les jardins que à sa cour.

    - Et... donc ?

    Le renard ne voyait visiblement pas où elle voulait en venir. C'était pourtant évident, non ?

    - Il aura bien assez à faire pour se faire respecter dans son propre palais. Et moi, c'est du seigneur de Montferrant que je veux me faire respecter ! Fera-t-il encore son impertinent avec des soldats à ses portes ?

    - Madame, vous voulez vraiment...

    - Passer aux choses sérieuses, oui. Renvoyez un message : l'injure a assez duré. Ils veulent me reprendre ces terres qui me reviennent de droit ? Je vais leur faire comprendre QUI commande les armées de Crosang.

    Sans laisser le temps à l'oiseleur de rétorquer, elle quitta la pièce et claqua la porte derrière elle. Les pans de sa robe flottaient derrière elle comme les voiles d'une mer de sang. Elle descendit les escaliers menant à la cour du château, les soldats de la garnison s'entraînaient là comme toute les semaines.

    - Faites sonner la trompe, j'ai un message à faire passer aux troupes. On quitte le château dans trois jours, le temps d'organiser mon absence.

    - Madame ?

    Le chien qui s'adressa à elle d'un air étonné était Jean, le lieutenant de Crosang.

    - On est en guerre contre Montferrant, c'est officiel.

    Les soldats avaient cessé leurs prises de fer en apercevant la dame de Crosang arriver. Ils se regardèrent avec surprise. La guerre ? Ils savaient que la situation était tendue depuis quelques temps, mais... La guerre, vraiment ? L'annonce était arrivée si rapidement qu'ils ne se rendaient pas encore compte de ce que cela signifiait. Partir, dire au revoir à sa famille ? Adieu peut-être ?

    La protestation n'était pas de mise : Dame Guédelie ne supportait pas les opposants politiques. Et qui n'était pas avec elle était son ennemi. Jean acquiesça donc d'un signe de tête.

    - Je ferais passer le message.

    Pour la première fois depuis l'arrivée du pigeon, Guédelie sourit. Et ce sourire n'annonçait rien de bon.


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