• Chapitre 4 : Or et haillons (Sungi)

    Le soleil s'élevait à nouveau dans le ciel, réchauffant les dalles de pierres et les remparts protecteur. La place du marché s'activait à nouveau, les marchants ambulants commençaient peu à peu à passer dans les allées, ceux de stands ordonnaient à nouveau leurs marchandises. Ses senteurs des aliments et des fleurs se mélangeaient à la fraicheur matinale. Les musiciens de rues accordaient leurs instruments et commençaient à chantonner chacun de leur côté avant de commencer leur musique qui ambiançait la rue.

    Sungi marchait paisiblement, déambulait de stand en stand. C'était son quotidien de venir ici, chaque matin, acheter les fruits frais pour le petit déjeuné de ses parents. 

    - Bonjour, je pourrais t'acheter ces fraises ? Demanda t-elle en souriant à un jeune marchand. Il avait sa propre plantation à côté de la ville et vivait dans sa petite chaumière à côté. Les deux discutaient quelques fois ensemble. 

    - Bien sûr. (il se mit à la tâche et choisi les plus belles) Tu es allé courir dans les bois aujourd'hui ?

    - Oui, comment le sais-tu ? 

    Il fit remuer son nez de chien de chasse pour montrer qu'il avait senti son ancienne transpiration. Un peu gênée, elle sourit en se reniflant mais ne sentit rien en particulier. 

    - Pourquoi fais-tu ça ? 

    - Je t'ai déjà dis, ça me fais du bien. Je me dépense comme ça. 

    Il hocha la tête et lui donna un petit sac tissé de fines herbes avec ses fraises à l'intérieur. En échange, elle lui donna deux pièces de cuivres. 

    - Je n'en demande qu'une ! contra t-il. 

    - Garde donc, tu dois en avoir plus besoin de moi. 

    En effet, il n'était pas bien riche et avoir une pièce de cuivre était déjà très bien pour lui. Mais alors deux, c'était très gros. 

    En faisant son métier, elle gagnait moyennement 20 pièces de cuivre pour un voyage moyen. Les grand voyages pouvaient monter à 40 pièces et les petits pouvaient descendre à 10 pièces. Aujourd'hui, elle espérait devoir aller dans une autre ville… Enfin, elle repartit en lui souhaitant bonne chance et se remit à marcher.

    Un peu plus loin dans le marché, du côté qui touchait la rue des écaille, de nombreux préparatifs étaient en cour. Une dizaines de félins et canins, toutes espèces confondues, s'escrimaient à accrocher des lanternes, des gerbes de fleurs en tissus et autres décorations printanières qui devaient donner un air de fête à la rue. Quelques badauds curieux s'arrêtaient pour les observer, et reprenaient leur route la mine réjouie : ça sentait la saison nouvelle. Sungi ne s'y arrêta pas vraiment. Elle y jeta un coup d'œil mais fit plus attention aux espèces confondues plutôt qu'aux décorations. Comment ces chiens pouvaient accepter de travailler avec ces félins trop fière d'eux et de leur souplesses…? Elle baissa le regard. Arrête… Tous les minous ne sont pas comme ça… se rappela t-elle. C'était presque devenu une peur : qu'aucun félin ne lui parle et tout allait très bien se passer… Enfin… Elle décida de se concentrer un peu plus sur ce qui était mit en place et se réjouit de voir les fleurs et les lanternes. Cette soirée, les rues allaient apparemment être agréablement illuminées. Elle se promit de faire un tour si elle le pouvait. La jeune Lycaon reprit son chemin, sans perdre sa bonne humeur.

    Soudain, dans la foules compacte du marché, un cri de protestation s'éleva :

    - Au voleur ! Au voleur ! Arrêtez-le !

    C'était un gros chien aux bajoues pendantes qui avait crié, vêtu à la manière des bourgeois. Il tourna la tête d'un côté à l'autre de la place, à la recherche de son agresseur.

    - Lui, là bas ! Avec la queue rayée !

    L'individu désigné n'attendit pas qu'on le dévisage pour réagir et disparaitre au coin de la rue.

    Voilà qui ne pouvait pas étonner les passants. Les vols étaient courant pour ceux qui ne faisaient pas assez attention. Déjà, deux chiens s'étaient mit à courser le malfaisant mais il s'avèrait que le tigre les semait déjà, caché dans la foule. Il se dirigeait droit vers la sortie du marché, là où était Sungi. Seulement, cette queue rayée tout le monde la connaissait. Il s'agissait probablement d'un...tigre. Il arrivait toujours en courant, bousculant des passants. Au vu de sa trajectoire, il était fort probable qu'il passe à côté d'elle. Panique. S'enfuir ? Et ce pauvre chien qui hélait désespérément pour qu'on arrête le voleur ? Puis, un coup de vent, le tigre passait à côté d'elle. La Lycaon ne réfléchit plus, elle tendit sa patte pour l'emmêlée dans celle du malfaiteur. Pour être sur de le faire tomber, ou du moins de vraiment le déséquilibré, elle le bouscula de toute ses forces. 

    Le voleur ne s'attendait forcément pas qu'une petite bourgeoise réagisse et eut juste le temps de faire une mine surprise quand sa jambe ne put passer au devant de l'autre, heurtant celle de la lycaon, et enfin, alors qu'il sautait pour essayer de s'en défaire, il fut poussé. Perdant pied, il se rattrapa juste à la dernière seconde pour repartir. Mais les deux chiens, un berger Allemand et l'autre un Schnauzer noir et grand, eurent vite faire de le rattraper et de l'immobiliser au sol. 

    Sungi resta tétanisée à les regarder sans comprendre ce qu'elle venait de faire… 

    Le grand félin était étendu à plat ventre sur les pavé de la place. Plutôt maigre, son pelage rayé rongé par la gale ou autre parasite sur la poitrine et la joue, ses vêtements élimés... et aucun doute sur la breloque brillante qu'il serrait entre ses pattes.

    Il leva un regard affolé autour de lui, suppliant du regard les passants, sans résultat. Le chien bourgeois arriva à sa hauteur et remercia chaudement les deux héros de la matinée. En guise de gratitude, il leur glissa même quelques écus avant de récupérer son bien des pattes du voleur.

    - Que quelqu'un appelle la garde... on ne peut pas laisser ce malfaiteur en liberté !

    - Ou un soigneur ! reprit Sungi en regardant l'état de la pauvre bête. 

    Voler, d'accord, c'est mal. Mais combien de fois a-t-elle put voir des mains coupés pour des vols de basses envergures. Une fois, elle avait eut l'occasion d'interroger un prisonnier. Lui demandant pourquoi l'avait-il fait, celui-ci lui avait tristement répondu, tête basse, qu'il avait une jeune fille qui vivait dans la même misère que lui. Et qu'il avait besoin de cet argent pour lui acheter de quoi se couvrir. Au moins une petite cape car il avait fait affreusement froid, cet hiver dernier.

    Le gros bourgeois tourna la tête vers elle. Avec la distance et la foule, il n'avait pas pu voir le croche-pied effectué par Sungi pour stopper le voleur et pensait que seuls les deux chiens avaient réussit à le plaquer grâce à leur adresse.

    - Mademoiselle, je vous prie de rester en dehors de cela si c'est pour dire des absurdités pareilles. Il est clair que ce brigand n'a rien pour payer un soigneur, et ce n'est surement pas moi qui le ferait. Il a tenté de me dérober le dernier souvenir de mon père, vous imaginez ?!

    Il lui mit brusquement sous le museau l'espèce de pendentif qu'il avait récupéré, avec une sorte de clapet plaqué or qui contenait probablement un petit portrait, à la mode des nouveaux peintres.

    Sungi fronça l'arcade sourcilière et eut un retroussement de babine. "Il va baisser d'un ton ce gros bourge mal lavé ?" se retint-elle de rétorquer. Mais elle décida de rester de marbre, ou du moins le plus possible. Qui plus est que ce pendentif agité sous son nez l'irritait un peu plus. Elle le repoussa d'un geste nerveux et reprit.

    - Si je ne m'en serais pas mêlé, ce minou poisseux n'aurait pas été freiné dans sa course. Et si vous étiez un peu moins bourge égoïste, vous chercheriez d'abord à comprendre pourquoi est-ce qu'il volait avant de vouloir l'emmener se faire couper la main. Les souvenirs, vous les avez dans votre tête, et non pas dans ce pendentif.

    Elle voyait bien qu'il n'était pas apte à l'écouter pour le moment, trop énervé pour un petit vol mais, même si elle n'aimait pas les félins, elle ne comprenait pas qu'un chien puisse être aussi égoïste au point de l'envoyer se faire punir trop sévèrement pour ce que c'était. De plus que, ce qu'elle en savait, peut de voleur cessaient après une telle punition.

    Elle coupa toutes réplique de celui-ci et continua en captant à nouveau son attention.

    - Monsieur, écoutez moi donc ! Je vais juste vous demander de vous imaginer pauvre, galleux, vivant dans les rues les plus nauséabondes de la ville. Jusque là, d'accord. Seulement, vous avez un chiot avec vous. Tout aussi souffrant, dont la faim grignote son âme petit à petit jusqu'à le tuer. Allez vous rester les pattes croisées à le regarder mourir ? Et pour vous, allez-vous vous allonger bien tranquillement dans un coin de cette rue et regarder les passants jusqu'à ce que vous fermiez les yeux à jamais ? Ne me ditent pas que ce que je vous dit est idiot, j'ai connu un chien qui vivait cette horreur pendant que bourgeois et nobles roupiaient bien tranquillement sur leur fauteuils. 

    Elle marqua une nouvelle pause et se détendit un quelque peu puis reprit 

    - Alors oui, il est normal que vous ne vouliez pas payer ce voleur, c'est normal que vous lui en vouliez pour son geste. Mais à votre place, j'appellerai quand même un médecin. Après, adviendra ce qu'il adviendra. Peut-être celui-ci refusera de le soigner peut-être pas, mais ça ne sera plus votre affaire. Ce que je veux dire, c'est qu'il n'est autre qu'un simple petit voleur qui n'a rien trouvé de mieux à faire que vous dérober votre… souvenir… mais vous l'avez récupéré, t'en mieux. Passez votre chemin. 

    Elle avait horreur de ce genre de personne. Il allait vite l'énervé, autant qu'elle s'en aille maintenant. Elle se redressa donc et sans même lui laisser une nouvelle fois le temps de placer un pauvre mot, elle fronça à nouveau de l'arcade sourcilière 

    - Enfin, je ne vois pas pourquoi je perds mon temps avec vous. Vous ne valez apparemment pas plus que lui. Voler une main pour une tentative de petit vol. Ce n'est pas équitable. Et je vous remercie, vous m'avez également donné une bonne leçon : aider les riches est une perte de temps, et pourtant comme vous le voyez, je réside probablement dans le même quartier que vous. 

    Sur ce, elle tourna les tallons avec ses fruits et s'en alla, queue haute.

    Tout au long de sa tirade, on pouvait voir les poils du chien se hérisser. Il bafouilla quelques paroles, sans doute plus touché que ce qu'il voulait le laisser voir, et rétorqua enfin avec une feinte dignité (plus ridicule qu'autre chose) :

    - Mademoiselle, restez polie. Je juge sur les faits que je connais, moi. Pas sur un conte sorti d'on ne sait où et qui... mademoiselle ?

    Elle s'était déjà éloignée, le laissant seul au milieu de la foule, avec le voleur et les deux chiens. Ces derniers, d'ailleurs, ne le laissèrent pas prendre lui-même sa décision : l'un d'eux relevait plutôt brusquement le félin tandis que l'autre s'éloignait pour chercher un soigneur. Le voleur, toujours tenu fermement par le bras, chercha des yeux la jeune canine à laquelle il devait son salut, mais elle avait disparue de sa vue.

     

    Sungi marchait à pas rapide dans la grande rue, passablement énervée. Pour se calmer, elle décida de détailler la rue du regard, ce qui l'obligeait à oublier sa petite altercation. Elle sentit, ses milles et unes odeurs mélangées. Reconnaissant l'odeur forte des épices, du fer travaillé, encore quelques fruits et bien d'autres. Confus et mélangés, le tout n'était pas désagréable. Se focalisant à présent sur sa vue, elle leva les yeux au ciel, regarda les drapeaux voler, le donjon au loin, puis les façades des battisses de pierre aux poutres voyantes de bois. Les fenêtres, les panneaux d'affichages pour le peu de personnes savant lire, puis enfin, les passants. Tous très actifs, aux mils et unes couleurs. Passant du marron terne pour les plus pauvre à de beaux bleus ou verts, rouge ou rose pour les plus riche. Et comment rater le gris métallique des armures des patrouilleurs. Ici n'était pas le meilleur lieu pour voler, si ces malfaisants avaient un minimum de jugeote. Mais avec ce peu de jugeote, on décidait de ne pas vivre dans le danger mais d'essayer de travailler pour gagner un peu d'argent. "Crois-tu que certains le fond par plaisir ?" se demanda t-elle en fond intérieur. Pour s'occuper, elle se répondit que oui, certainement. Car le monde était bien fous, les personnes trouvaient du bonheur pour tout. Les meilleurs à côtoyer étaient ceux qui trouvaient leur bonheur sans passer par le malheur des autres, évidemment. 

    La Lycaon se mit à marcher plus calmement et détailla les femmes. Toutes habillées de robes, elle se sentit un instant un peu seule, d'être en pantalon et en tunique. Aujourd'hui, elle portait sa tenue préférée : un pantalon noir, des bottes hautes en cuir noir, sa tunique kaki aux larges manches qui lui permettait de ne pas avoir trop chaud, tout en se couvrant un peu, en ce début de printemps, et un bustier noir. 

    (arc à ignorer)

    Enfin, elle repéra une petite boutique de papiers, de plumes et d'ancre. C'était le deuxième magasin où elle voulait se rendre ce matin. Quand elle rentra, une petite cloche sonna et presque aussitôt, un loup plutôt âgé l'accueillit 

    - Bonjour jeune demoiselle ! Que puis-je faire pour vous ? 

    - Bonjour à vous. Ma plume est maintenant usée. Je venais en acheter une nouvelle, ainsi qu'un peu d'ancre et de papier. 

    Le loup sourit et contourna son comptoir pour lui montrer les différentes plumes qu'il vendait. Sungi fit son choix avec un quelque peu de difficulté. Elles étaient toutes si belles ! Au finale, elle en choisit une petite beige à plumeau (pas une toute droite, une toute douce). Le vendeur la prit délicatement ainsi qu'un pot d'ancre et d'un tas de feuille. 

    - Le tout pour 40 pièces de cuivre.

    Sungi paya le tout et repartit avec son petit chargement, collés bien précieusement contre son torse. En regardant un instant l'avancée du soleil, elle se dit qu'il était temps de rentrer.

    Alors qu'elle sortait de la boutique, un jeune chien brun lui fonça dedans, prit dans son élan. Il se rattrapa tant bien que mal au mur et baissa le museau.

    - E... Excusez-moi madame.

    Il avait le poil rêche et les yeux orangés, mais surtout une maigreur effarante et plusieurs plaies cicatrisées depuis peu. Vêtu d'une simple tunique de toile grossière et de linges élimés pour protéger ses pattes, il avait l'air assez pitoyable.

    Elle se rattrapa t'en bien que mal. Heureusement, ses habits ne la génèrent pas, contrairement a une robe, pour se mouvoir. Elle serra son précieux chargement entre ses pattes par peur d'un voleur. Ils avaient cette technique de voler courante. Foncer dans sa victime pour en dérober le contenu du sac. Comme ça, il peut le faire rapidement sans que la personne volée ne sente la main dans son sac, au vu du contact déjà fait et bien trop present pour que le cerveau ne comprenne ou ne sente. Elle vérifia d'un coup d'oeil l'intérieur puis se concentrant sur le chien. Au début elle froncait légèrement l'arcade sourcilière mais l'état de la pauvre bête l'attendrit. 

    Le pauvre faisait peur a voir. Si pitoyable... Et... Blessé .. 

    - Dieu que vous arrive t-il pour être dans un état pareil ? Son ton était surpris mais distingué pour ne pas paraitre dégoûtée. 

    Car elle ne l'était pas.

    L'animal releva la tête et la fixa avec intensité.

    - J'ai fuit mon village... Ça fait des jours... des semaines ? S'il vous plait... je suis si fatigué...

    Il tremblait un peu maintenant, et ne semblait plus avoir la moindre envie de se presser.

    Sungi le regarda toujours avec pitié. Que serait-elle devenue, elle, si ses parents ne l'avaient recueillit ? Mais... Et si c'était une ruse ? "Non, tu as vu son état ?" Se rappela t-elle.

    La jeune bourgeoise réfléchi un instant. 

    - Je veux bien... Mais qu'est ce que je peux bien faire ? (Elle le regarda a nouveau) je... Je peux te donner a manger pour cette fois... Hé puis...il te faut au moins un petit métier pour gagner quelques piecettes. Et désinfecter un peu les quelques plaies qui ne se sont pas refermée... Je veux bien essayer de faire tout cela pour toi, mais sache que tu auras une dette a me rendre. D'accord ? 

    Le canin leva vers elle des yeux remplis d'espoir. Il opina fermement de la tête pour tout réponse, et battit l'air de sa queue touffue.

    - Bien, suis moi, je vais te soigner dans ma stalle. 

    Elle reprit sa route et vérifia qu'il ne boitait pas pour la suivre. De toute manière, elle n'était pas médecin, désinfecter une plaie avec un peu d'eau et de du cataplasme, oui, mais pas plus... 

    Elle le conduit alors jusque dans la rue bourgeoise. Il la suivit tout en regardant autours de lui. Le moindre petit détail attirait son attention et tout semblait l'impressionner, de la taille des bâtiments aux autres habitants qu'ils croisaient.

    La jeune Lycaon marchait devant et jetait très régulièrement des coups d'œil à son protéger. Ils marchèrent encore un peu entre les allées, toutes les unes aussi belles que les autres. Les bâtisses étaient fleuries, les pierres et bois étaient apparemment très bien entretenu au vu des belles façades et de l'architecture surement plus recherchée que dans les quartiers pauvres. La rue était ordonnée et bien plus propre. Enfin, elle s'arrêta devant une maison de bois, et de pierres pour la stalle, en dessous du balcon, où la porte d'entrée était installée.

    Sungi se retourna vers le chien

    - Reste là, je fais vite.

    Le canin resta à sa place et l'observa faire. Elle monta donc les marches pour se rendre à l'entrée et enclencha la porte de sa main, à demi libre.

    Il regardait pendant ce temps la rue avec des yeux d'ahuri. Probablement n'avait-il jamais vu autant de richesse et de propreté étalée en un seul endroit. Il attendit la suite en silence, prêt à obéir quoi qu'elle lui demande de faire.

    Sungi rentra enfin chez elle. Elle déposa les fruits sur la table a manger et salua ses parents. 

    - Tu ne manges pas ? S'étonna sa mère. 

    - Pas tout de suite. Quelqu'un a besoin de mon aide. 

    - Qui donc ? Demanda son père. 

    - Un chien très mal en point. Je vais juste lui désinfecter ses plaies et lui donner a manger. 

    La berger fit une mine exaspérée. 

    - Sungi, tu ne peux pas aider tous les pauvres de la ville.

    - Il n'est que le troisième. 

    - C'est un troisième de trop, nous ne sommes pas un centre de remise en forme. Intervint un nouvelle fois le malinois. 

    - je ne me sers que d'eau et de verge d'or que j'ai cueilli hier matin. 

    La mère sourit plus tendrement. 

    - Bon... Si ce sont tes affaires que tu prends pour le soigner, alors c'est bon. Tu te débrouilles. Mais cesses de les faire venir ici. Compris ? 

    - oui. 

    La lycaon répartit en montant a l'étage, dans sa chambre. De la, elle posa rapidement ses papiers, son ancrier et sa nouvelle plume sur son bureau et se dirigea vers une étagère où elle prit un bocal pré-preparé, un chiffon et, en redescendant, un peu d'eau. 

    Elle prit l'escalier qui descendait a nouveau et se retrouva dans la stalle de sa jument, qui vint à elle. La jeune femme prit juste le temps d'une caresse avant d'aller ouvrir la grosse porte de bois dur. 

    - Viens. Appela t-elle en rentrant a nouveau. tiens, assis-toi ici.

    Elle désigna un coin de paille propre où la jument ne pouvait aller. Elle les regardait d'ailleurs avec curiosité derrière sa barrière, coupant la salle en deux, en outre, elle avait bien de la place, c'était plus grand qu'un box comme on pouvait le voir dans les écuries. 

     Il ne se fit pas prier et entra par la porte ouverte. De même, lorsqu'elle lui ordonna de s'assoir dans la paille propre, il obéi immédiatement en lui jetant de fréquents regards.

    Il avait toujours l'air un peu ahuri et ne prononçait plus un mot. Il ne croyait pas vraiment à ce qui lui arrivait, et son état de fatigue ne l'aidait pas à réfléchir sur sa situation.

    Sungi apporta le bocal et la cruche d'eau puis s'accroupit a côté de lui. 

    - C'est de la verge d'or en cataplasme. J'en prépare toujours un peu de secours, ça aide a désinfecter les plaies et sinon, dans ce pot, c'est du prêle pour tes plaies vraiment infectées. On en trouve facilement en forêt. Montre moi ta pire blessure, on va commencer par celle là. 

    Le chien l'écouta sans broncher, portant ses yeux sur les divers éléments qu'elle nommais. Puis il se regarda comme si il se découvrait. Il se tâta un peu les côtes et retira finalement sa vieille tunique rafistolée. Dans la fourrure de son dos, des zones sans poils et des marques de fouet. Plutôt anciennes à en juger par leur aspect. Plusieurs semaines au moins.

    En voyant les coups dans son dos, Sungi faillit basculer en arrière. Elle se rattrapa a l'aide de sa queue en la plaquala plaquant au sol et la raidissant. Reprenant son équilibre, elle s'approcha des coups de fouets. 

    - Pourquoi tant de coups ? Qu'etiez vous avant de venir ici ? 

    Elle palpa du bous du doigts les bords des plaies encore ouvertes. Toutes ne l'étaient pas. Une ou deux restaient un petit peu ouverte, en cour de guérison mais a l'aspect, elle préféra quand même appliquer un peu de cataplasme de verge d'or, pour aider cette guérison. Elle en appliqua du bous des doigts par peur de lui faire mal.

    Les zones qu'elle touchait étaient encore sensible. Il enroula sa queue autour de ses jambes et la serra dans ses pattes pour contenir la douleur. Avant de répondre, il attendit patiemment qu'elle s'occupe de son dos en essayant de ne pas bouger.

    Quand enfin elle eut terminé, il tourna vers elle sa tête brune.

    - J'étais un serf à Crosang. Je sais, je n'aurais pas dû m'enfuir ! Ne me dénoncez pas s'il-vous plait !

    Il avait laissé échappé ces dernières phrases à toute vitesse, avec une terreur sous-jacente impossible à ignorer.

    Sungi le regarda et le laissa se retourner. Elle ne comprit pas bien. Sachant déjà où était, approximativement Crossang, ce qui était la base de son métier, de savoir la géographie du monde, mais elle n'avait jamais entendu parlé du cerf. 

    - Qu'est ce que le Cerf de Crossang ? Demanda t-elle alors, sur un ton curieux. De toute manière, elle ne pensait nullement le dénoncer de quoi que ce soit. Il avait l'air d'avoir assez souffert. 

    - Pas "le" cerf : "un" serf. Un paysan au service de... de la dame de Crosang.

    Il s'était un peu calmé pour commencer son explication. Mais à l'évocation de cette "dame", la terreur perçait à nouveau dans sa voix et ses yeux effarés semblaient chercher un danger invisible.

    - C'est la dame de Crosang qui vous traitait donc ainsi ?! Vous étiez son esclave en quelque sorte ? 

    - Non, non ! s'exclama-t-il, presque effrayé qu'on puisse interpréter ainsi ses paroles. Un paysan ! On cultivait la terre, et une partie revenait au château. C'est partout comme ça, non ?

    Impôts, gabelle, taxes... peu importe les noms, tout habitant de ce royaume avait des comptes à rendre à quelqu'un.

    La lycaon fronça l'arcade sourcilière. 

    - On ne peut pas se dire paysan si on se prend des coups de fouets dans le dos ! J'appelle ça l'esclavage moi : travail plus maltraitance. 

    Elle essayait juste de comprendre mais ne voulait pas ce qu'il voulait dire. C'était toujours comme ça avec ceux qui s'exprimaient mal. Qu'il dise clairement d'où il venait, pourquoi était-il parti etc. Pourquoi tourner autour du pot ? Rien de tel pour l'agacer. Mais elle ne pouvait pas lui en vouloir... Il paraissait si traumatisé... 

    - La... La dame de Crosang ne maltraite jamais sans raison. C'est moi, c'est ma faute... Je n'aurais jamais dû cacher une partie de la récolte à la bonne dame...

    Il se mit à gémir comme un chien battu, et rentra la tête dans les épaules. Il ne regardait même plsu Sungi.

    Sungi comprit alors. Approximativement. Mais elle s'imaginait cette fois la scène. 

    - D'accord. Je vois. Ne t'en fais pas, je ne dirais rien. Où as-tu mal encore ? 

    Elle se demandait comment faire pour le calmer, l'appaiser. Presque même le faire dormir. Car le sommeil était le meilleur remède, de toute évidence. Enfin... Elle se prit un peu plus d'affection pour ce pauvre chien et se jura d'essayer de lui trouver un métier. Où du moins un toit où dormir. 

    Le chien continua de gémir après qu'elle ait parlé et mit un certain temps à redresser le museau. Comme si il venait de se rendre compte qu'on attendait de lui une réponse.

    - ... M... Mal ? Je...

    Il bafouilla et secoua nerveusement la queue. Finalement, il se pencha en avant et retira les lambeaux de tissus qui lui tenaient lieu de chaussures. Moins impressionnant que ses traces de fouet dans le dos, ses pattes étaient cependant égratignées, ses coussinets abimés. Une longue route sans protection dans des sentiers caillouteux pouvait en être la cause.

    Sungi se concentra a nouveau sur les pattes. Cette fois, c'était infecté et elle décida d'appliquer le cataplasme de prêle. 

    - Pourquoi courais-tu tout a l'heure ? 

    - Je... Ne sais pas. Enfin si : je ne connaissais pas l'endroit, tout était si grand, si bruyant... J'ai paniqué.  Je ne savais pas où aller.

    Il commençait apparemment à se calmer. La queue toujours enroulée, il tortillait un brin de paille entre ses griffes pour détourner son attention de ses plaies au pied. En ne regardant pas les gestes de Sungi, il évitait les sursauts trop déstabilisants.

    Sungi finit de s'occuper des deux pieds sans ajouter quoi que ce soit. Puis elle lança un regard interrogatif pour lui demander un autre endroit. 

    Une fois ceci fait, il ne restait plus que les croûtes plus éparpillées sur les bras et le museau. Aussi anciennes que les coups de fouet, mais qui n'avaient jamais été pansées normalement, d'où l'absence de cicatrisation pour ces blessures mineures.

    Constatant qu'elle ne pouvait faire que ça, elle se redressa et lui tendit la cruche d'eau 

    - Tiens, au vu de ton pelage, tu es complètement déshydraté. Je vais te rapporter quelques fruits aussi pour te nourrir.

    Le chien prit le broc d'eau entre ses pattes et continua de fixer Sungi jusqu'à ce qu'elle sorte. Il semblait dans l'incompréhension la plus totale. Déjà, qu'on l'aide et qu'on lui prête attention. Ensuite, qu'on lui propose à boire et à manger.

    Lorsqu'il se trouva seul, il regarda quelques instants l'eau clapoter au fond de sa cruche. Il la porta à son museau et bu enfin.

    Sungi alla chercher une pomme. Heureusement, ses parents avaient fini de manger et devait s'occuper on ne sait où dans la maison. Elle redescendit aussi rapidement et s'approcha a nouveau du chien en lui tendant le fruit .

    - Au fait, comment t'appelles-tu ? 

    Il releva la tête lorsque la lycaon refit son apparition et accepta le fruit avec gratitude. Avant de croquer dedans, il hésita pourtant, paru gêné.

    - Guillot. Mais vous savez... je n'ai rien pour vous payer.

    - Pour le moment, non. Et je ne te demanderais pas forcément de me payer. On va procéder comme avant l'apparition de l'argent : voici une aide de ma part. Quand tu seras rétabli, je veux pouvoir compter sur toi en retour si jamais je suis un jour dans le besoin. D'accord ? Et en fonction des services que je te donne, tu auras le même nombre de service a me rendre. Marché conclu ? 

    Le chien opina énergiquement de la tête.

    - Devant Aurès, je le jure !

    Elle sourit, satisfaite, et se releva 

    - J'ai une lettre à envoyer et je vais devoir aller travailler, reposes-toi bien le temps que j'écris et puis... Je suis désolée mais je ne vais pas pouvoir te laisser ici si je ne suis pas là, et qu'il n'y a personne à la maison. Mais pour le moment, essayes de fermer un peu les yeux...

    - Jamais je ne vous volerais ! se récria-t-il sans hésitation.

    Mais, comprenant ce qu'elle voulait dire, il n'insista pas plus. Et il était sincèrement épuisé, il n'avait pas la force de discuter. Il racla sa pomme jusqu'au trognon et se roula en boule dans la paille. A peine les yeux fermés, il commença à sombrer dans le sommeil.

    - j'espère.. chuchota t-elle en s'éloignant de quelques pas.

    Il y avait tellement de malfaiteurs en ce monde. De supercherie... Et elle était si naïve parfois qu'il était bien simple de l'avoir. Bien qu'elle restait un minimum méfiante. Enfin, elle remonta ses escaliers. 


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